Me promener dans mon quartier à la tombée du jour et imaginer ce que les murs nous cachent dans l'intimité des maisons longées. Laisser le regard effleurer la vie intérieure par une fenêtre, l'intimité accessible et ensuite extrapoler l'ensemble de ses histoires. Suis-je le seul à le faire? Sûrement pas, mais il y a dans cette perspective, j'en ai l'impression, le cristallite de "Elle respire encore" de Jérémie Niel, présentée par L'Agora de la Danse et Danse-Cité dans la salle Orange du Wilder.
Photo de Caroline Rousseau tirée du "Le Devoir"
À cette présentation, je m'y suis rendu quelque peu fébrile, parce que pour la rencontre d'après, je me joindrai à deux autres spectateurs (Enora Rivière et Jean-Michel Théroux) pour participer avec le créateur à un jeu de rôle durant lequel nous trois, devront devenir Jérémie Niel et répondre à ses questions, lui devenu spectateur pour l'occasion. Mais bon, chaque chose en son temps et maintenant c'est l'attente avant d'entrer dans la salle. Autour de moi, il y a plein de jeunes et leur enseignante. Bien curieux le gars, par conséquent, j'apprends des choses fort réjouissantes, mais aussi surprenantes. Ces jeunes, assez nombreux, viennent du CEGEP de St-Hyacinthe et sont là dans le cadre d'un de leur cours. Et si je vous posais la question, lequel selon vous, qui aurait répondu Éducation physique ? Moi, j'aurais échoué, mais cela me réjouit, d'autant plus par la réception que ces jeunes ont eu et des questions qu'ils ont posées au metteur en scène après la représentation.
Donc, nous entrons dans la salle qui sera "ben pleine" à la fermeture des portes. Devant nous, la scène est protégée par un rideau noir et tout à coup derrière, des bruits nous parviennent. Et puis arrive le moment auquel nous découvrons les vies en cours. Celles de différents microcosmes intérieurs décloisonnés, mais séparés de nous par cette toile, nous faisant bien ressentir l'isolement de ces 13 êtres qui seul ou en couple ou en groupe évoluent dans l'espace. Dans cet espace avec quelques accessoires, ils semblent isolés, coincés et menacés (pour cet effet, l'atmosphère sonore de Alexandre St-Onge) est fort bien réussi. Malgré tout, ils évoluent nonchalamment en gestes, en mouvements et en danses. Comme nous tous, parce que dans une centaine d'année, si on se fit à certaines extrapolations scientifiques et qui sait, pourrait s'avérée vraie, nous serons que souvenirs à la dérive.
Et arrive le son d'une sirène qui terrasse ces treize humains et qui amènent les survivants à se regrouper, le temps d'un moment et de laisser derrière, ceux qui n'ont pas pu y survivre. Et moment fort de cette oeuvre, selon moi, ils reprennent d'abord leur activité à deux, mais comme il en reste un nombre impair, le ou la laisser pour compte sera forcé à la dérive. Cette situation me touche fort et aussi m'interpelle, d'autant qu'elle se reproduira plus tard.
Difficile de tout suivre ce qui se passe sur scène, il faudra faire ses choix ou déplacer son regard rapidement et compléter les vides. Il y a dans cette perte de contrôle, cette incertitude, une faille qui nous demande un lâcher prise et une extrapolation vers nous et notre propre vie. Comment rester insensible à l'insouciance de cette jeune fille qui se déplace nonchalamment, musique aux oreilles, telle le Chaperon rouge ou à ce qui arrive à cette vieille dame qui se sent entre bonnes mains ou à cette musicienne qui ne veut que jouer de son instrument ? Nous vivons seuls ou non dans des mondes communicants, jamais à l'abri et peu importe la posture que nous prenons. J'ai vécu en cette soirée, ce que j'ai déjà ressenti durant la lecture du roman de José Saramago, "L'aveuglement" et cela m'a interpellé et perturbé, dans le bon sens du terme.
Et arrive le moment final, celui de la prise de conscience, par un simple geste, de ce monde avec ses limites qui ramène brusquement notre imagination à notre place, à notre siège. Suivie de notre interprétation du sens de cette allégorie du monde moderne. Comme, il en sera question dans la discussion d'après, si l'oeuvre est "toute noire", elle irradie en nous comme un corps noir mis sous tension. Et ses radiations, pénètrent en nous par les fissures que Jérémie Niel et ses complices sur scène (Florence Blain Mbaye, Samuel Bleau, Philippe Boutin, Karina Champoux, Bill Coleman, Angie Cheng, Simone Chevalot, Peter James, Pascale Labonté, Elizabeth Langley, Brianna Lombardo, louki Mandalian et Peter Trosztmer) créent.
Une oeuvre qui mériterait à être vue par bon nombre de jeunes (moins jeunes aussi) et aussi et surtout par la suite, par un échange sur le sens ou les sens du message perçu. Et comme l'a écrit Mélanie Carpentier (Le Devoir 16 mars 2018), "C’est à un théâtre qui s’adresse aux sens que Jérémie Niel convie son spectateur avec «Elle respire encore»".
Aucun commentaire:
Publier un commentaire