dimanche 24 novembre 2019

Sur mes pas en danse: "Plongée" dans des univers féminins

Décidément, ces derniers temps, la plupart de mes différentes sorties culturelles m'amènent vers des univers féminins et à chaque fois, j'en reviens troublé, de ce trouble qui permet de requestionner certaines de mes perspectives masculines. Fort satisfait aussi, parce que, comme l'écrit Hugo Latulippe dans son essai "Pour nous libérer les rivières", l'art nous permet de nous "Libérer de nous" et de nos ornières, je serais tenté d'ajouter.  Que je le veuille ou pas, je suis le produit de mes origines différemment déclinées. De ces formatages familiaux, culturels et scolaires qui orientent mon parcours.

Voilà pourquoi, au final, le programme double de Tangente m'a intéressé, d'autant plus que moi le peu athlétique jeune homme, j'étais admiratif de ceux et celles, talentueuses, qui pouvaient utiliser leurs habiletés pour "performer". Moi, sur la touche, je ne pouvais être qu' envieux!

                                          Photo de Tess Martens par Scott Lee

                                         Crédit de Caroline St-Laurent et Taos Daphné Houasnia

Mais il peut y avoir un côté sombre, sinon ombragé, à ce que les projecteurs nous montrent et c'est en ses eaux troubles que "Slow Change" de et avec Tess Martens et "Nadia, est-ce que ça va ?" de Liliane Moussa et Caroline St-Laurent avec Marilyn Daoust, Anne-Flore de Rochambeau, Marine Rixhon et Liane Thériault, nous plongent.

Une soirée qui débute avec une entrée en salle avec une invitation à prendre place sur un des coussins près cette petite scène surélevée sur laquelle se retrouve debout l'interprète de "Slow Change". Plusieurs, dont moi, accepteront cette invitation, tandis que d'autres iront prendre place dans un siège dans les estrades de l'Espace Orange. Sur cette scène, se retrouve deux sacs et une radio avec pas trop loin, cinq maillots accrochés. Un peu avant le début de sa prestation, Tess Martens, tout en interpellant avec son regard, nous invite à nous rapprocher. Et puis débute cette rencontre "performative" qui débute par son dépouillement vestimentaire pour endosser ses habits de nageuse synchronisée. Difficile de rester impassible, sinon même mal à l'aise, devant et si proche sur mon coussin, de sa métamorphose de femme toute ordinaire en "nageuse", vêtue de son maillot jaune. Elle "plonge" parmi nous (audacieux spectateurs sur les coussins) dans une série de mouvements répétés à la cadence de "one to eight". Rien ne semble agréable dans ses mouvements, peut-être une détermination à aller au bout jusqu'à ce qu'on lui demande. Une fois la première "routine" complétée, elle revient, se "drappe" en bleu pour replonger dans son rôle et parmi nous, tels des molécules d'eau (H2O). De mon point de vue, cette femme se décompose. Sa nature se désagrège devant moi et je ne peux rester indifférent. Je ressens fortement le traumatisme passé. Et puis arrive le moment où elle quitte sans regarder derrière et ni non plus accueillir nos applaudissements.

Il me faudra un certain temps pour émerger de cette prestation et suivre les indications à quitter la salle.

À mon retour, bien installé sur un siège en première rangée, j'attends le début de "Nadia, est-ce que ça va ?", question que j'aurais volontiers posé à Tessa Martens, suite à la première partie de cette soirée.

Nadia (Comaneci) qui a révolutionné l'univers de la gymnastique (aux Jeux Olympiques de Montréal) avec ses "10", était-elle le produit d'un "formatage" idéologique qui a encore aujourd'hui ses entrées dans les lieux performatifs des "Filles en série" ( comme je l'ai lu dans l'essai de Martine Delvaux) ? Ce formatage "dépersonnalisant" et opprimant semble encore exister et c'est ce que je découvre devant moi. Le principal intérêt de ce qui suivra est la décision des créatrices de nous le présenter à rebours pour nous amener à l'origine du besoin de s'exprimer. D'abord, dans des costumes fort fragiles, fait de papiers d'emballage, ces quatre femmes nous proposent des mouvements synchronisés qui au gré des mouvements, montrent des fractures vestimentaires comme chorégraphiques. Comme le maquillage, est-ce dans les fractures que la nature se révèle ?

Il s'en suit, un tableau fort riche durant lequel en duo, elles établissent un langage corporel. Exercices fort beaux, mais interrompus par un signal de plus en plus incommodant. Leurs regards le démontrent de façon fort éloquente. Je l'ai perçu comme la première étape de ce "domptage" des corps et des esprits. Et puis arrive en fin de présentation, les moments de liberté, durant lesquels, ces femmes peuvent s'exprimer en toute liberté. Ces moments qui révèlent les motivations premières et sans contrainte de s'exprimer !

Si, pendant la présentation de l'oeuvre, le sens inversé ne m'était pas apparu, ma réflexion au retour à la maison me l'a fait réaliser, suivi du constat du prix à payer pour être sous les projecteurs.

S'il m'arrive que de rester satisfait au retour d'une oeuvre, cette fois, la réflexion qui en suivait m'a interpellé sur ma propre posture professionnelle et m'a fait poser "la" question, comme citoyen, "Robert, est-ce que ça va ?"

Merci mesdames, rien ne sert de se mettre à l'abri, ce costume que nous endossons peut s'avérer fragile et chaque rappel mérite que l'on s'y attarde.

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