samedi 28 septembre 2019

Sur mes pas en danse: "Cadavre", une proposition riche et intense

C'était, il y a un an et mes pas m'avaient porté à une proposition "hors-norme", soit "Shelter In Shadows" de Jay Cutler qui était une performance-installation en continu de huit heures, répétée trois jours consécutifs, pour trois interprètes, dont une interprète en danse. Durant cette rencontre, j'avais été fasciné et j'en étais reparti avec, en tête, les questions de ces deux hommes pour le "après" du départ, de la coupure du lien avec l'autre ou les autres. N'ayant pas été présent à la fin de cette prestation, je n'avais pas envisagé qu'elle aurait une suite. Et suite, il y a et il y aura, puisque j'avais assisté, sans le savoir, à la première partie d'une trilogie, dont la deuxième partie, "Cadavre", solo chorégraphique a été présenté au MAI. 


Mais, lorsque je le l'ai su, mon agenda était déjà plein pour les deux soirées de présentation. Les "dieux" de la danse étant bons pour moi, puisque du créateur, j'ai reçu l'offre d'assister à la générale ! Voilà donc, en un après-midi gris et pluvieux, pourquoi je me rends dans le café du MAI pour y être accueilli par Jay Cutler, tout souriant et ne semblant pas trop nerveux, la veille de la première. Il m'explique les prémisses de sa création dont le "cristallite" est le personnage de cette femme de la première partie de sa trilogie. Cette femme qui évoluait muette avec ces deux hommes, il la voyait avec son destin. 

Et puis arrive le moment où les portes s'ouvrent et se referment sur le seul spectateur que j'ai été. Une fois bien assis, je découvre cette femme (Bettina Szabo), corps immobile baigné par un éclairage qui évoluera tout au long des quinze minutes que durera l'entrée en salle des spectateurs et enveloppé d'une trame musicale toute douce propice à la contemplation du corps. L'effet de la variation de l'éclairage sur notre perception de ce corps est particulièrement réussie. Par exemple, au tout début, il y a ce bleu qui rend le corps "neutre", suivi par un vert qui lui donne une apparence cadavérique (d'une blancheur troublante) et ensuite un rouge qui semble nous la ramener à la vie dans nos souvenirs. Tout au long des variations des éclairages, sans que ce corps ne bouge, nous sommes amenés à créer notre histoire à partir de notre perception spectrale. 

Pause

Recommandation du spectateur: Si cette oeuvre revenait à l'affiche, et elle le mériterait pleinement, je vous propose d'être présent dès l'ouverture des portes (15 minutes avant) pour apprécier cette mise en abyme de ce qui suivra.

Fin de la pause

Et puis arrive le moment où ce corps s'anime, peu à peu. Ce que souhaite nous présenter le chorégraphe, "Édith (cette femme) entre dans le monde des fantômes après avoir été emportée par l'océan.", je le ressens bien. Sa transition entre son enveloppe corporelle, laissée derrière, je la suis attentivement. Les différentes émotions qu'elle ressent, je les perçois fort bien. Sans jamais s'exprimer oralement, ce corps me parle. Que ce soit lorsqu'elle tourne autour du vide laissé derrière elle (montré par un faisceau d'éclairage), ou qu'elle le regarde, j'ai bien ressenti ses émotions, de rage, de tristesse et de désespoir aussi qui l'habitaient. Les gestes de ce corps qui tente de se sortir de ce tourbillon, pour pouvoir prendre son envol pour partir libre, je les ai suivi avec attention. J'ai particulièrement apprécié les tableaux dans lesquels les mains s'exprimaient pour cette bouche muette. J'ai aussi senti cet esprit vieillir, lâcher prise, et laisser derrière lui, ses regrets, avant son départ définitif.

Avec "Cadavre", Jay Cutler nous propose une perspective sur le départ définitif de notre esprit de la surface de la terre, une fois sorti de son enveloppe corporelle, Un esprit qui doit se libérer des dernières entraves émotionnelles rattachées à ses souvenirs. La performance de Bettina Szabo nous la présente avec doigté et intensité. 

Une oeuvre qui mérite d'être représenté et si c'était le cas, j'y retourne !


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