vendredi 11 mai 2018

Sur mes pas en danse: "Phantom Stills & Vibrations", "Ngii Miigwewinmii iw" troublant de Lara Kramer.

Les grandes manœuvres du FTA ont beau commencer dans un peu moins de deux semaines, il nous propose une première proposition qui commence ce jeudi dans la salle d'exposition du MAI.

"Phantom Stills & Vibration" de Lara Kramer se décline en deux éléments, d'abord une exposition (jusqu'au 10 juin) et aussi une performance (présentées en quelques occasions, soit en plus de ce 10 mai, les 17 et 24 mai et 7 juin à 19h00 ainsi que le 2 juin à 15h00). Le tout prenant appui sur l'expression "phare" "C'est mon héritage" ou "Ngii Miigwewinmii iw", soit celui d'une femme dont les trois générations précédentes ont fréquenté le pensionnat indien Pelican Falls dans le nord de l'Ontario.

Nous sommes invités à une visite les traces des lieux de ce pensionnat maintenant démoli et remplacé par une école secondaire. Elle nous propose sa perspective d'une violence jadis acquise mais dont l'empreinte est encore présente. Et c'est cette empreinte toute aussi invisible que forte, que j'ai découvert avec des images, des objets, des sons et des fragments de témoignages, enveloppés d'une atmosphère forte, malgré l'agitation propre à un vernissage.

                               Photo de Lara Kramer par Stefan Petersen

Le milieu de la salle est inaccessible aux visiteurs, protégé par des bandes de plastique transparentes et ce lieu sera celui où la performance aura lieu, un peu plus tard. Autour, d'abord sur un grand panneau indiquant en langue amérindienne d'abord et en plus gros, mais aussi en anglais et en français, que Lara Kramer nous présente son oeuvre. Plus loin, nous pourrons voir un canoë "rempli" de graines, un reste de grillage, une série de Polaroids du lieu avec elle sur certains accompagnés parfois dans les marges des mots. Il y a aussi un tas de bois coupés, les restes de ce pensionnat, je serais tenté de penser, tout proche, un coin qui a tout du lieu intime autochtone mais aussi, au fond de la place, près de 200 draps pliés (plus précisément 180, si j'ai bien compté) en différentes piles sur deux "colonnes" de bancs, me rappelant les dortoirs d'un pensionnat. J'ai pu aussi entendre dans les casques d'écoute répartis un peu partout dans la salle des sons, et des témoignages sur fond d'eau qui coule ou de gazouillis de bébé. Dans ce coin, qui m'a gardé captif un long moment, la peau d'animal, le porte bébé, le contenant de graines et le pot d'eau tout simple soit-il est fortement chargé en symboles d'intimité et cela me rejoint.

De ces lieux, j'en ai fait un et deux tours, lentement, m'arrêtant souvent, restant sur place et découvrant des détails ratés la première fois. J'ai ressenti pleinement ce que l'objectif de Lara Kramer qui le mentionne dans le feuillet de présentation, Phantom, Stills & Vibration est une oeuvre qui vise à faire sentir aux gens le poids du silence, des fantômes qui hantent toujours le lieu, aujourd'hui reconverti en école secondaire." C'est donc dans un état de réception que je suis prêt à découvrir sa performance accompagnée par Stefan Petersen.

Les lumières s'éteignent et arrive d'abord, lui qui se met à étaler de la "poudre" de différentes couleurs. Il le fait avec application indifférent aux alentours. Arrive ensuite, elle qui prend place dos à nous et reste immobile. Lui, toujours en action, continue à colorer et à déplier ce drap, tandis que elle toujours dos à nous, se met, tout lentement, à une tâche qui nous échappe. L'attente est palpable parmi les spectateurs, certains abandonnent et quittent, mais il suffit de se concentrer pour ressentir les vibrations et d'imaginer les fantômes du passés. Très personnellement, je ressens la détresse intérieure de cette femme et aussi sa détermination à évoluer. Ce qu'elle fera en se déplaçant tout autour, arrêtant pour nous interpeller du regard. Elle le fera juste devant moi et je sens son regard m'interpeller. Arrivera le moment de la rencontre de lui et de elle qui laissera des traces, sans changer le cours des événements, triste constat !!! C'est donc dans une position de repli que le tout se termine.

Voilà des moments qui tiennent plus d'une rencontre expérientielle exigeante que de la performance, du même type que j'avais vécu avec "Native Girl Syndrome" en 2016 de la même chorégraphe. Expérience forte, pas nécessairement agréable, mais essentielle pour bien ressentir ce qu'ont vécu ces hommes et ces femmes traumatisées par notre comportement. Un moment de prise de conscience qui nous permettra, je l'espère, de reconnaître notre responsabilité collective.


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