Je ne me sens trop audacieux pour affirmer que Sarah Dell'Ava est une chorégraphe-interprète tout à fait unique. Toutes les fois que j'ai pu découvrir son travail (autant comme interprète que comme chorégraphe), la nature forte de la relation qu'elle établit avec le public m'incluant, m'a fortement impressionné. En bon québécois, "elle, elle l'a l'affaire !!!". Je me souviens encore de "ORI ou les chambres du cœur" pour la rencontre "forte" de sa création inclusive avec les spectateurs pour aller de l'avant.
Cette fois, c'est à "OR", partie du polyptique "ORIRI-ORIR-ORI-OR-O" que nous sommes conviés. "OR" est, selon moi,un projet "fou", "OR", c'est une rencontre chorégraphique de quatre heures. Rencontre présentée dans un "espace habité" pendant neuf jours consécutifs, oui, oui, neufs jours !!! Un projet "fou", je vous disais, mais tellement exaltant, si je me fie à la réaction et les yeux brillants de la chorégraphe-interprète lors d'une courte rencontre que j'ai eu avec elle quelques jours avant le début de cette aventure.
Photo: Robin Pineda Gould tirée du site de Tangente
Avec notre billet, il est possible d'assister à l'intégrale de la prestation (36 heures) ou à des parties. "Restez le temps qu'il vous plaît, partez et revenez à votre guise", telle est l'invitation de de Sarah dans le feuillet. Pour ma part, j'ai décidé d'y plonger une fois dans son univers, mais ce plongeon sera total. Voici donc le compte-rendu de ma visite en ce lundi soir qui a débuté à 18h00 (l'ouverture des portes), jusqu'à sa fin à 22h00.
C'est dans l'Espace Vert que mes pas m'amènent. Il contient pour l'occasion, le lieu de performance, entouré par quatre hauts murs constitués des œuvres de l'artiste, mosaïque de gouaches colorées. Nous y accédons par l'un ou l'autre de deux coins ouverts. Dans ce lieu, rien, sinon deux petites chaises et des coussins répartis tout au tour de la pièce et, si on observe bien, deux petits hauts-parleurs. Une première impression me vient, son univers est riche, de ses œuvres tout en couleurs vives.
À notre entrée, Sarah Dell'Ava est déjà présente et nous accueille simplement avec son sourire. Une fois entrés, elle nous invite à nous installer confortablement et si nous le souhaitons, à partir et revenir à notre convenance. Nous pourrons aussi aller chercher une tasse de thé ou d'écrire nos impressions sur une des cartes blanches fournies pour les laisser sur une des cordes. Tout cela de l'autre côté d'un des murs dans l'Espace Vert.
Et puis arrive le moment, où elle s'accroupit par terre et, devant moi et une dizaine d'autres spectateurs bien installés sur un coussin. C'est parti pour quatre heures. Durant les premiers moments je tente de trouver mes repères de spectateur, mais vite que j'ai tout faux. Je comprends que ce n'est pas nous et elle face à nous, mais plutôt seulement nous, elle y compris. Effectivement, "OR" se révèle vite comme une rencontre fortement teintée d'intimité, durant laquelle, il faut arrêter de voir pour plutôt ressentir avec ses yeux et ses oreilles. Elle nous présente des états de corps, interagissant avec nous, venant à notre rencontre, un à un dans un rythme alternant intensité et relâchement. Elle nous entraîne lentement hors de notre monde, de nos pensées et de nos préoccupations, pour entrer dans le sien parsemé d'extraits sonores.
L'exercice est néanmoins exigeant, demande que l'on s'y adapte. C'est après une heure trente que je savais que je resterais jusqu'à la fin. Parce que le temps qui passe ne compte plus. Parce que cette femme , telle une "araignée" a construit patiemment sa toile avec ses gestes (ceux de ses bras me plaisent particulièrement !), ses sons gutturaux (mystifiants !) et ses regards passant d'une nuance à l'autre. Même en pause, dans ou hors du lieu, sa présence persiste.
Je serai le bénéficiaire de quelques-unes de ses rencontres qui me transmettent une belle dose de chaleur humaine. Tout au long, je serai touché au propre comme au figuré par sa présence et par ses gestes intimes qui intiment amicalement mon attention. Elle a, pour cette soirée, pris le temps de me laisser le temps de prendre mon temps et j'en profité pleinement. Je pourrai aussi observer notre capacité de mimétisme. puisque lorsqu'elle s'étend par terre, vers la fin, tous ou presque suivrons son exemple, en symbiose.
Le temps passe néanmoins et arrivé aux derniers moments, moi et la dizaine de spectateurs encore présents, constatons que cette femme a encore du "jus" et elle nous en "tord" une dose à chacun de nous, avec une généreuse, colorée d'admiration, pour ce spectateur présent depuis tout le début des prestations, soit un total de seize heures. Et qui poursuivra son assiduité, comme il me répondra à ma question, à la sortie de la salle.
Tout le temps de la prestation des spectateurs entrent, d'autres sortent du lieu sans que ces déplacements humains n'interfèrent dans le déroulement de la prestation et de ma réception de l'oeuvre. Nous serons une dizaine au début, certains quittent, d'autres se joignent, pour passer jusqu'à une trentaine et terminer à une dizaine.
Tangente présente fort adéquatement "OR" comme un projet spécial et j'appuie totalement la note de la commissaire (Dena Davida): "Si nous suivons le parcours de Sarah Dell'Ava depuis ses débuts, c'est pour sa vision de l’événement artistique comme expérience de communauté unissant artistes et public. Un dialogue enrichissant." Une rencontre qui devrait être faite par le plus grand nombre.
Et moi aussi, je la suis et je la suivrai pour la suite annoncée "O", une expérience de grand groupe prévue en 2019-2020.
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