samedi 31 mars 2018

Sur mes pas en danse: "À nouveau sauvage" pour interpeller et surprendre le spectateur

"Sentiers battus" et Tangente, tout spectateur de danse averti devrait savoir que ça ne va pas dans une même phrase. Par conséquent, "À nouveau sauvage" titre de leur soirée ne devrait pas surprendre et pourtant, j'ai été surpris par cette incursion chorégraphique dans le domaine de l'environnement avec une approche éco esthétique (tel que l'indique Dena Davida dans le feuillet de présentation). Cette approche chorégraphique toute théorique, qui s'allie à la préservation de l'environnement, était toute nouvelle et inconnue pour moi et j'allais en découvrir deux illustrations. Nous sommes informés en début de soirée que la première oeuvre d'une durée d'une trentaine de minutes sera dans la grande salle et qu'elle sera suivie d'un entracte et de la deuxième d'une durée de quatre-vingt-dix minutes dans la salle verte (la salle Dena Davida). Dans la salle de cette deuxième oeuvre, nous pourrons arriver après le début, y entrer, en ressortir et y rentrer de nouveau. Je sens dans cette indication, un conseil que j'ai éventuellement suivi et qui m'a été profitable. Sur ce point, j'y reviendra en temps et lieu.

En première partie, allons donc découvrir, "Boxher" de Kimberley de Jong. Nous entrons dans la grande salle et nous découvrons une grande masse de déchet dans des sacs de plastiques transparents et "bien pleins" sur le côté droit de la scène et une console du côté gauche. Le temps passe, l'estrade se remplit et les lumières se font discrètes. Nous arrive des bruits de provenance inconnue qui peu à peu dévoileront leur origine, soit le "milieu" de cette masse de déchets. En ressort un être mi humain, mi animal dont le visage restera longtemps hors de notre champ de vision. Les gestes sont un amalgames d'agonie et de mutation. J'y vois les affres de la libération, mais aussi la lumière qui l'accompagne et l'affirmation "confrontante" qui en résulte. Tous les ingrédients qui grafignent mon, et qui sait, notre, comportement producteur de déchets. Et lorsqu'elle nous confronte, après avoir ressassé ce que nous laissons, comme déchets, derrière nous, impossible de rester impassible. Si la démarche proposée s'avère efficace, il faut en donner le crédit au "collaborateur sonore" Jason Sharp qui avec ses capteurs sur l'interprète fait résonner tout haut et efficacement la suite des mouvements. 

                                          Photo: Vanessa Fortin

Une oeuvre qui m'égratigne avec un message pertinent d'une trentaine de minutes riches des gestes et de ses résonances. et qui pour moi, me fait réfléchir sur mes habitudes de vie et de ce qu'elles laissent derrière.

Petite pause et je me dirige en bas pour découvrir, en lever de rideau" "Vivarium" de Lucy M. May, avec en arrière pensée, le conseil donné en début de soirée. J'entre dans la salle et j'y découvre de l'ombre, des accessoires par terre et des interprètes, Noémie Avidar qui les manipule, Paige Culley et Lucy M. May qui y évoluent ainsi que Patrick Conan qui en change la perspective lumineuse et musicale. Sans indications évidentes, je prends place au milieu de la place, question de tout voir. Je constate vite que je suis un obstacle du développement de cet écosystème. Je me replis donc, mais à cette position de repli, qui autant par sa position que par la nouvelle réception qui en résulte me rend inconfortable. Je vais donc à l'extérieur, au bar, le temps de retrouver mes repères et ma réceptivité de spectateur (une quinzaine de minutes pour les curieux) et je redescend. De retour, j'y trouve une place, ma place et c'est de là que la suite se déroulera jusqu'à la fin, à ma plus grande satisfaction. Le déploiement de cet écosystème est presque rendu à maturité et, malgré la semi-obscurité, j'en découvre le déploiement et les êtres qui l'habitent. J'y vois aussi la présence de spectateurs actifs (même un tout jeune enfant) qui y prennent leur place, sans que la compétition du territoire soit à l'ordre du jour. 

                                          Photo: Vanessa Fortin

Dans cette proposition hyperbolique qui nous montre le déploiement des objets dans les lieux et de leur repli, sans que l'on en saisisse toute l'ampleur (because notre perspective), pendant que des êtres, eux, y évoluent, impossible de ne pas faire le lien avec le destin de ce monde. Et aussi sur cet univers qui origine du Big Bang et qui pourrait finir sur un Big Crunch. Le sens de la vie et de notre présence sur cette planète, je l'ai ressenti fortement dans mon deuxième séjour dans le lieu. Je ne partage donc pas, la perspective de Mélanie Carpentier (Le Devoir 30 mars 2018 https://www.ledevoir.com/culture/danse/524138/a-nouveau-sauvage-nobles-dechets-et-dignes-especes) qui écrit que "Cette interaction entre les danseuses et la scénographie forgée en direct demeure pourtant opaque quant au sens qu’elle entend soulever.". Au contraire, tenons-nous compte de l'environnement, encore aujourd'hui, lorsque nous le piétinons de nos besoins ? Poser la question est y répondre et "Vivarium" pour autant que l'on soit attentif nous aide en ce sens.

Au final, une soirée riche par le questionnement, fort bien présenté que peuvent provoquer les deux oeuvres. Une soirée qui nous rappelle que nos pas laissent des traces et des déchets ! 

jeudi 29 mars 2018

Sur mes pas en danse: Revenir avec grand plaisir sur mes pas avec "Dieu ne t'a pas créé juste pour danser"

Lorsque mes pas ont commencé à m'amener à des représentations de danse contemporaine, c'est surtout des Maisons de la Culture qui étaient leur destination. À cette époque, une des oeuvres qui m'avait marqué était "Dieu ne t'a pas créé juste pour danser" de Marie Béland (Maribé-Sors de ce corps). Encore en mémoire, un des tableaux qui m'avait ouvert les yeux, mais surtout l'esprit, par son message simple mais fort instructif. Il m'autorisait à faire ma propre lecture des oeuvres qui m'étaient présentées.

Par plaisir, par nostalgie, mais aussi un peu par curiosité de ma relecture de l'oeuvre, mes pas m'ont donc amené quartier Ahuntsic dans une Maison de la Culture (Ahuntsic-Cartierville) pour la revoir. À mon arrivée dans le hall d'entrée, difficile de ne pas constater que le public déjà présent est loin du public habituel pour une soirée de danse contemporaine, remarques entendues autour de moi dans la file à l'appui. Voilà mon premier point d'intérêt, la réaction de ce public dont je serai éventuellement entouré une fois rendu dans la salle.

                                 Tiré du site internet de Maribé - sors de ce corps

Un peu à l'avance, j'ai le temps de bien lire et de relire le feuillet de présentation dans lequel nous pouvons lire la biographie de la chorégraphe et des interprètes. Impossible de rester indifférent et de ne pas esquisser un sourire devant les informations vraies (par exemple, que Anne Thériault a visionné le long métrage "Dirty dancing" à plus de cent reprises) ou fausses ( par exemple, que Simon-Xavier Lefebvre a un peu de poids à perdre !). Nous apprendrons aussi (vérité ou fiction ?) que deux des interprètes, à défaut de voir leur talent exploité par Marie Chouinard, l'a été par Marie Béland (entre autres).

La foule grossit, le public se diversifie, les portes ouvrent et moi, je prend ma place. Tout proche de mes pieds, un chandail avec trois autres sur la même ligne et un panneau de feuillet tout à droite. L'annonce officielle se fait entendre et les interprètes se présentent à nous faisant les annonces d'avant représentation d'usage et distribuer un feuillet pour ceux et celles qui n'en n'ont pas déjà. Nous aurons à répondre à des questions. Vrai ou faux, pas question que je trahisse la suite. Par la suite, Dany Desjardins, Zoey Gauld, Simon-Xavier Lefebvre, Anne Thériault et MC Gilles ( oui, oui le gars de la TV et la radio qui sera à la console musicale, mais pas seulement) nous entraînent dans une suite de tableaux dont le titre nous est présenté sur le panneau.

Même, les ayant déjà vus, certains tableaux sont toujours aussi percutants dont celui durant lequel Anne Thériault "pète sacoche". Troublant aussi, celui présentant Zoey Gauld, seule sur scène sous la domination d'un metteur en scène dans l'ombre qui a toutes les allures d'un Terence Fletcher dans le film "Whiplash". Amusant, avec cette troisième partie qui complète le tableau "La thématique" durant lequel nous rions, mais nous découvrons une dérive "éclatée" et parfois odorante du manque de ressources pour les arts, toujours aussi d'actualité, dix ans plus tard . Il y a aussi, ce tableau qui nous présente des extraits de chorégraphes célèbres d'ici dont Daniel Léveillé, Marie Chouinard et Dave St-Pierre (avec des interprètes un peu plus habillés pour ceux-ci !). Et pour finir, découvrir qu'il est possible de présenter de la danse sans bouger en utilisant que des chandails et terminer le tableau par une ouverture fort réflexive et une citation de Nietzsche."Je ne pourrais croire qu'en un Dieu qui saurait danser.".

Le temps passe vite et de par les remarques que j'entends autour de moi, la majorité des spectateurs embarquent dans la proposition de Marie Béland. Il y aura bien ce vieux monsieur derrière moi, coincé au milieu de sa rangée qui désespère tout haut du commencement d'un nouveau tableau et de cette spectatrice qui quittera doucement entre deux. Il en reste que la finale est particulièrement intéressante lorsque MC Gilles laisse sa console pour reproduire des parties de ce qui nous a été présentées, comme s'il le faisait pour nous, par procuration.

La suite, consiste en des applaudissements nourris pour cette gang qui nous a proposé en danse un tour d'horizon de la nature humaine dans lequel la réalité et la fiction se côtoient habilement avec un amalgame de comédie et de drame. Une oeuvre qui a bien vieilli, sans prendre de rides (même remarque pour les interprètes qui étaient tous là il y a dix ans) et comme je l'avais écrit à l'époque. «Je suis certain que ceux qui assistaient pour la première fois à un spectacle de danse contemporaine voudront aller plus loin.» (tiré du site internet de Maribé - sors de ce corps). Et cela d'être le cas de ma voisine qui me l'a dit en se rassoyant juste après son ovation debout.

Pour ceux et celles qui voudraient faire leurs premiers pas "en danse" ou "d'autres" et je vous y encourage, voici le lien pour découvrir les prochaines dates. http://www.accesculture.com/activite/Dieu_ne_t_a_pas_cree_juste_pour_danser___Maribe___sors_de_ce_corps

lundi 26 mars 2018

Sur mes pas au cinéma: "La mort de Staline", mourir d'une part et de rire de l'autre

Les choix de sortie cinéma pour les cinéphiles sont nombreux, mais pour peu que l'on prenne appui sur le beau temps, une sortie vers de l'humour noir s'avère une belle possibilité. Voilà pourquoi, mes pas m'ont amené, bien accompagné en cette belle journée de lundi jusqu'au cinéma Beaubien pour découvrir "La mort de Staline" qui s’avérera un film qui a tout du caramel salé. En effet, il contient des ingrédients opposés, la comédie et la férocité de la nature humaine, en les alliant pour revisiter avec succès et audace, un épisode de l'histoire de l'URSS dans un humour noir qui tient bien la route.

                                                  Image de Entract Film sur le site de La Presse

Avec son imagination tout débridée, Armando Iannucci nous entraîne dans une suite d'épisodes  surprenantes et captivantes avant et après la mort de Staline, le "guide" du peuple et de sa cour ( le Comité Central). Dès les premières images, nous sentons l'absurdité de la situation. Impossible de ne pas rire, face aux comportements induits par cette épée de Damoclès juste au-dessus de chaque citoyen "sur la sellette". Et quand le rire fatal arrive, nous sommes témoins d'une succession d’événements et de "grenouillages" qui nous ferons rire, malgré leur énormité. Une fois le tyran éteint, nous découvrons les agissements des aspirants retors ou naïfs, habilement présentés.

Le tout se suit avec plaisir, avec des prestations d'acteur fort bien réussies. Il faut relever, celles de Jeffrey Tambor dans le rôle du successeur désigné de Staline, tellement drôle et de Simon Russell Beale dans le rôle du conspirateur sans morale.

Cet épisode sombre de l'histoire revisité et coloré de faits alternatifs nous permettra de rire "jaune", malgré tout. Un film à voir.

vendredi 23 mars 2018

Sur mes pas en danse: "Pluton-Acte 3" qui s'inscrit fort bien dans la série "Trace-Hors-Sentiers" de Danse-Cité.

Jamais deux sans trois, dit le dicton et que reprend à son compte la directrice artistique de "La 2e porte à gauche", Katya Montaignac, pour nous proposer "Pluton-Acte 3". Ce projet un peu fou, avouons-le, mais d'une belle folie, est décrit par sa conceptrice, comme celui d'un voyage qui aura duré sept ans et quatre escales qui a duré sept ans. Un voyage qui nous permet de découvrir, comme spectateurs, des territoires uniques et digne de souvenirs. Je me rappelle encore ma rencontre, en première rangée, avec Louise Bédard. Pour cette autre occasion, la proposition est à la hauteur des créateurs-interprètes réunis, soit deux duo, Benoît Lachambre - Dana Michel et Peter James - Katie Ward. Pour peu que l'on connaisse la scène de la danse contemporaine ici, il est évident que nous irons hors des sentiers battus et ce fût exactement le cas.

                                             Photo des deux interprètes par Claudia Chan Tak

Dans ce lieu de "toutes les audaces", le théâtre la Chapelle, j'arrive un peu à l'avance. Et ce que je découvrirai par la suite, pourrait être résumé en un mot avec toute sa signification, le mot "présence" et des différentes perspectives pour la découvrir.

À mon arrivée, "un peu" à l'avance, la salle est déjà accessible au public. Nous sommes informés que nous pourrons changer de place tout au long de la présentation. Peu de gens y sont déjà et je peux y découvrir la scène séparée en deux par un rideau noir qui nous forcera à choisir un côté ou l'autre, occupés par les deux interprètes, Benoît Lachambre et Peter James qui semblent en latence, mais déjà très présents. Il y a les bancs habituels dans les estrades, mais aussi d'autres sur la scène. Sur les côtés, mais aussi au fond de la scène, dont un permet de voir simultanément les deux côtés. C'est sur ce siège que je qualifierais de "la place à prendre" que je prendrai. Et ce siège, je le garderai égoïstement tout le long de la présentation, je m'en confesse. Il me permettra d'abord de découvrir en "avant show", d'un côté, Peter James immobile et de l'autre, Benoit Lachambre sur un "plateau mobile" qui se déplace dans des mouvements "aller-retour". Déjà, leurs présences sont palpables et captent notre attention.

La salle se remplit peu à peu de spectateurs qui supputent sur la place à prendre et qui échangent entre eux aussi. De ma position, j'observe ce macrocosme en perpétuel évolution. Arrive le moment officiel du début de la prestation que l'on devine par l'abaissement de l'intensité lumineuse. Et moi, de ma position privilégiée, j'en apprécie la présence forte des deux interprètes qui nous proposent des gestes banals, parfois incongrus, mais toujours captivants. Il y a des gens exceptionnels qui nous liraient le bottin téléphonique tout en nous captivant et d'autres, tels que les deux interprètes sur la scène, qui utilisent une bouilloire ou un rouleau vert pour provoquer un choc pour l'autre. La banalité des gestes n'a d'égale que l'effet que nous en ressentons. Difficile de décrire les détails vus, mais surtout perçus, mais facile d'affirmer l'effet "fort" perçu.

Durant toute l'heure que dure les déplacements et les mouvements des deux interprètes, les spectateurs se déplaceront curieux, selon ce qu'ils percevront de leur côté ou de l'autre. Et moi, toujours un peu plus "coupable" de ma position privilégiée (m'est l'est-elle vraiment ?), malgré qu'elle me permet d'enrichir ma perspective de spectateur. Il en reste qu'au final, mon regard délocalisé entre les deux endroits, sera-t-il comme les électrons qui sont délocalisés dans le cycle benzénique, stabilisé dans son état final ? À cette question, ma réponse, je la garderai pour moi, mais je peux concéder qu'elle m'a satisfaite.

Je dois concéder que si l'oeuvre est particulièrement fascinante pour l'habitué en danse, je serais bien curieux de connaître l'accueil qu'un public moins habitué lui réservera. Mais, pas question pour moi, de lui suggérer de passer son chemin.  Parce qu'voir la chance de découvrir "la présence" deux "bêtes de scène" en simultané est une occasion unique qu'il ne faudrait pas manquer. Et comme je l'ai entendu à cette soirée de première, " j'ai été amené ailleurs", juste pour cette raison, mais pas seulement, "Pluton-Acte 3, mérite que l'on y aille.


mercredi 21 mars 2018

Sur mes pas en danse: "Le cri des méduses" fort complexe selon Alan Lake

De Alan Lake, j'avais vu "Ravages", mais de cette oeuvre, peu de souvenirs bons ou moins bons, sinon l'utilisation de la matière pour soutenir le propos chorégraphique. Mais, à cette soirée de première, je m'y suis rendu plein de curiosité et d'intérêt pour découvrir "Le cri des méduses" qui selon son créateur "prend de nouvelles résonances à la fois avec l’actualité des naufrages des migrants en Méditerranée, mais également quant au futur de l’humanité soumise aux changements climatiques" (Le Devoir 17 mars 2018). Dans le hall de la Cinquième Salle de la Place des Arts, quelques minutes avant l'entrée en salle, la foule est nombreuse et hétéroclite, à l'image de cette humanité. En effet, jeunes et moins jeunes, gens du milieu de la danse et "simples" spectateurs attendent de prendre leur place. 


                                          Photo de l'oeuvre tirée du site de Danse Danse

Le moment arrive et nous entrons dans la salle pour y découvrir, sur scène, une structure de bois et de métal, en apparence banale, mais fort énigmatique à mes yeux. Une fois les lumières éteintes et les avertissements d'usage envolés dans l'espace, nous pouvons découvrir des hommes et des femmes venus de l'ombre qui prennent l'assaut de la structure, telles des méduses prenant place dans un radeau. Nous sommes rapidement entraînés dans une suite de mouvements alliant puissance et élégance. Impossible de rester indifférent durant les tableaux qui nous montrent ces corps qui évoluent avec des mouvements ondulatoires que l'on imagine dans le fond de l'eau. Tout cela enrobé par la musique fort efficace et en direct d'Antoine Berthiaume. Il m'est arrivé de ressentir que j'y étais avec eux et lorsque sur cette façade au fond, un rayon lumineux y perce, de l'oxygène dans mes poumons s'est engouffré. Il y aura bien ce moment trop vite présenté durant lequel, hommes et femmes sont rapidement aspergés par un jet de liquide noir, suivi d'un rapide passage de linges sur eux et sur scène, comme s'il fallait passer rapidement à autre chose et effacer nos erreurs.

Aussi, j'ai été fortement impressionné par ces différents tableaux de "poses de superposés" durant lesquels les corps s'agglutinaient et d'autres en émergeaient, pour nous présenter des formes fort marquantes. Il y aura aussi ces mouvements en duo qui se répètent comme la vague sur le sable et dont je ne me lassais pas de la répétition. Enfin, ce radeau, polymorphique et constamment modifié et déplacé, devient le support d'élans chorégraphiques marquants. Malheureusement, ces élans sont souvent trop courts et comme les vagues sur la plage, effacent toute trace des impressions en nous, des mouvements précédents.

Au final, une oeuvre riche (trop peut-être !), abondante, brillamment et athlétiquement interprétée par Josiane Bernier, Kimberly De Jong, Jean-Benoit Labrecque, Louis-Elyan Martin, Fabien Piché, Odile-Amélie Peters, David Rancourt, Geneviève Robitaille et Esther Rousseau-Morin). Des tableaux qui nous proposent une plongée dans les eaux souvent troubles d'une humanité à la dérive. Une expédition forte en courants et en vortex, mais parfois trop rapide pour que les sensations persistent en nous. Il en reste que la finale, elle, avec les interprètes tout enrobés, nous laisse avec une forte et bonne impression qui sera durable.

lundi 19 mars 2018

Sur mes pas au cinéma-documentaire: Quand de la poussière rouge provoque un "Bras de fer" citoyen.

De la poussière, vous me direz, ça ne devrait susciter notre inquiétude, compte-tenu de son omniprésence dans nos vies. Mais, si un matin, vous sortiez de votre maison et que le sol était recouvert d'une poussière rouge, pas grise, bel et bien rouge, peut-être que cela vous allumerait une lumière (rouge). Voilà ce qu'a vécu en 2012, une jeune mère, Véronique Lalande, en sortant de sa maison dans  l'arrondissement La Cité-Limoilou de Québec. Elle partait faire une balade avec son nouveau-né. Plutôt que de lever le nez sur cette poussière, elle y plonge toute sa curiosité et ce faisant, elle y entraîne son conjoint et les citoyens de son arrondissement.

La suite est documentée et moi, c'est, d'abord, par une conférence de Chantal Pouliot, professeure titulaire à l'Université Laval que j'en ai pris connaissance. Elle utilisait cet événement et ce qui en a suivi pour utiliser les différents épisodes de cette mobilisation citoyenne dans le cadre d'un de ses cours, traitant de la notion de controverse. Mon intérêt était piqué et j'ai poursuivi avec la lecture de son livre "Quand les citoyen.ne.s soulèvent la poussière (La controverse autour de la poussière métallique à Limoilou)" aux Éditions Carte Blanche (2015). Une centaine de pages qui permettent de bien comprendre les enjeux sous cette poussière pas toujours rouge, mais toujours dangereuse pour la santé des gens qui y sont exposés, de par sa nature (composé surtout mais pas seulement de nickel) et de par sa quantité, nettement plus élevée que les normes acceptables.

Nous découvrons les différents épisodes d'un "combat" de David (les citoyens dans le collectif "L'Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec ou l'I.C.V.P.Q.)) contre Goliath (les autorités politiques et celles du Port de Québec). Impossible de rester insensible devant les stratégies classiques utilisées pour discréditer ce couple, pourtant fort sérieux et méthodique. Mais aussi, devant la bonne vieille méthode, encore efficace, celle de créer le doute. Une fois que la contamination du nickel est démontrée, le P.D.G. du Port qui répète à un animateur de radio que ce nickel pourrait venir de plusieurs autres sources, sans pouvoir ou vouloir, bien sûr, les identifier. Une technique bien éprouvée qui a eu ses succès avec le tabac et le sucre.

Enfin dans une seule salle du Cinéma Beaubien (une fois par jour en P), il est possible d'aller un peu plus loin avec le visionnement de "Bras de fer" de Jean-Laurence et Jonathan Seaborn. Nous pouvons suivre, du point de vue citoyen, les actions et les réflexions de Véronique Lalande et Louis Duchesne qui démontent, qui interpellent et qui entraînent de nombreux citoyens pour faire cesser les contaminations  de leur quartier par des métaux lourds. Fait qui sera éventuellement reconnu par tous, même par les responsables du Port du Québec, sans pour autant que cela change quelque chose.

                                                      Affiche du film tirée du site Cinoche.com

Difficile de ne pas être "outré" et frustré face aux comportements des autorités du port de Québec, des responsables de la Santé publique et des politiciens. De ce combat entre David contre Goliath, compte-tenu des moyens financiers, nous aimerions que le tout se termine bien, il en va de la santé de milliers de citoyens. Mais les impératifs économiques pèsent très lourds et la vie n'est pas un conte de fée. Il en reste qu'aujourd'hui l'histoire n'est pas finie, parce que devant les tribunaux, tout est tellement long !

Voilà un documentaire qui complète bien ce que je savais déjà en présentant fort bien l'humain, pour le meilleur et pour le pire, au centre des enjeux. Une oeuvre qui nous montre une détermination hors-norme de cette femme et de cet homme qui ne peut que susciter notre admiration. Moi, j'aimerais tant les rencontrer !

Au sortir de la conférence et de la lecture de son livre, j'étais resté un peu sur ma faim parce que Chantal Pouliot avait, de façon sage, gardé pour elle le nom des responsables de cette contamination et des politiciens impliqués. Le film, lui, par ses images d'archives publiques, permet d'identifier les responsables et de les entendre s'exprimer dans la plus belle langue de bois.




vendredi 16 mars 2018

Sur mes pas en danse-théâtre: "Elle respire encore", mais comment et jusqu'à quand?

Me promener dans mon quartier à la tombée du jour et imaginer ce que les murs nous cachent dans l'intimité des maisons longées. Laisser le regard effleurer la vie intérieure par une fenêtre, l'intimité accessible et ensuite extrapoler l'ensemble de ses histoires. Suis-je le seul à le faire? Sûrement pas, mais il y a dans cette perspective, j'en ai l'impression, le cristallite de "Elle respire encore" de Jérémie Niel, présentée par L'Agora de la Danse et Danse-Cité dans la salle Orange du Wilder.

                                         Photo de Caroline Rousseau tirée du "Le Devoir"

À cette présentation, je m'y suis rendu quelque peu fébrile, parce que pour la rencontre d'après, je me joindrai à deux autres spectateurs (Enora Rivière et Jean-Michel Théroux) pour participer avec le créateur à un jeu de rôle durant lequel nous trois, devront devenir Jérémie Niel et répondre à ses questions, lui devenu spectateur pour l'occasion. Mais bon, chaque chose en son temps et maintenant c'est l'attente avant d'entrer dans la salle. Autour de moi, il y a plein de jeunes et leur enseignante. Bien curieux le gars, par conséquent, j'apprends des choses fort réjouissantes, mais aussi surprenantes. Ces jeunes, assez nombreux, viennent du CEGEP de St-Hyacinthe et sont là dans le cadre d'un de leur cours. Et si je vous posais la question, lequel selon vous, qui aurait répondu Éducation physique ? Moi, j'aurais échoué, mais cela me réjouit, d'autant plus par la réception que ces jeunes ont eu et des questions qu'ils ont posées au metteur en scène après la représentation.

Donc, nous entrons dans la salle qui sera "ben pleine" à la fermeture des portes. Devant nous, la scène est protégée par un rideau noir et tout à coup derrière, des bruits nous parviennent. Et puis arrive le moment auquel nous découvrons les vies en cours. Celles de différents microcosmes intérieurs décloisonnés, mais séparés de nous par cette toile, nous faisant bien ressentir l'isolement de ces 13 êtres qui seul ou en couple ou en groupe évoluent dans l'espace. Dans cet espace avec quelques accessoires, ils semblent isolés, coincés et menacés (pour cet effet, l'atmosphère sonore de Alexandre St-Onge) est fort bien réussi. Malgré tout, ils évoluent nonchalamment en gestes, en mouvements et en danses. Comme nous tous, parce que dans une centaine d'année, si on se fit à certaines extrapolations scientifiques et qui sait, pourrait s'avérée vraie, nous serons que souvenirs à la dérive.

Et arrive le son d'une sirène qui terrasse ces treize humains et qui amènent les survivants à se regrouper, le temps d'un moment et de laisser derrière, ceux qui n'ont pas pu y survivre. Et moment fort de cette oeuvre, selon moi, ils reprennent d'abord leur activité à deux, mais comme il en reste un nombre impair, le ou la laisser pour compte sera forcé à la dérive. Cette situation me touche fort et aussi m'interpelle, d'autant qu'elle se reproduira plus tard.

Difficile de tout suivre ce qui se passe sur scène, il faudra faire ses choix ou déplacer son regard rapidement et compléter les vides. Il y a dans cette perte de contrôle, cette incertitude, une faille qui nous demande un lâcher prise et une extrapolation vers nous et notre propre vie. Comment rester insensible à l'insouciance de cette jeune fille qui se déplace nonchalamment, musique aux oreilles, telle le Chaperon rouge ou à ce qui arrive à cette vieille dame qui se sent entre bonnes mains ou à cette musicienne qui ne veut que jouer de son instrument ? Nous vivons seuls ou non dans des mondes communicants, jamais à l'abri et peu importe la posture que nous prenons. J'ai vécu en cette soirée, ce que j'ai déjà ressenti durant la lecture du roman de José Saramago, "L'aveuglement" et cela m'a interpellé et perturbé, dans le bon sens du terme.

Et arrive le moment final, celui de la prise de conscience, par un simple geste, de ce monde avec ses limites qui ramène brusquement notre imagination à notre place, à notre siège. Suivie de notre interprétation du sens de cette allégorie du monde moderne. Comme, il en sera question dans la discussion d'après, si l'oeuvre est "toute noire", elle irradie en nous comme un corps noir mis sous tension. Et ses radiations, pénètrent en nous par les fissures que Jérémie Niel et ses complices sur scène (Florence Blain Mbaye, Samuel Bleau, Philippe Boutin, Karina Champoux, Bill Coleman, Angie Cheng, Simone Chevalot, Peter James, Pascale Labonté, Elizabeth Langley, Brianna Lombardo, louki Mandalian et Peter Trosztmer) créent.

Une oeuvre qui mériterait à être vue par bon nombre de jeunes (moins jeunes aussi) et aussi et surtout par la suite, par un échange sur le sens ou les sens du message perçu. Et comme l'a écrit Mélanie Carpentier (Le Devoir 16 mars 2018), "C’est à un théâtre qui s’adresse aux sens que Jérémie Niel convie son spectateur avec «Elle respire encore»".