Photo de Mikha Wajnrych tirèe du site de l'Usine C
D'abord, tout subtilement et douceur, deux femmes ( Frauke Mariën et Shantala Pèpe) nous apparaissent tout au loin (au fond de la scène de la grande salle). Et c'est d'abord de là, au chant ou plutôt de la complainte médiévale, "Les anneaux de Marianson", interprétée par Michel Faubert qu'elles se mettent en mouvement avec des gestes harmonieux, tout en phase. Puis, peu à peu, subtilement, elles s'approchent de nous et de moi, tout proche, assis au milieu de la première rangée. Et de leurs mouvements me captivent, me permettant difficilement de porter attention au sort de l'héroïne de la complainte. De ce couloir lumineux, tout à coup, elles s'en écartent, comme si le destin défaillait et que sur scène la libération de la "belle" se faisait. Mais c'est ensemble et en phase qu'elles termineront ce moment.
Au final, un trop court moment durant lequel la douceur du gestes rehaussait la dureté du propos, démontrant que l'on peut se rendre à notre intellect comme le présentait Aristote, "rien n'est dans l'intellect qui n'ait été d'abord dans la sensation". Et cette "sensation" fût fort efficace, comme la suite de cette soirée le sera d'ailleurs.
Après les applaudissements mérités et invitation à quitter la salle, nous attendons la suite à l'extérieur.
Le spectateur informé sait déjà que la prochaine oeuvre, "Serpentine" de Daina Ashbee sera constituée de trois répétitions de la même performance. En entrant, il est informé qu'il doit prendre place assis par terre ou assis sur une chaise ou debout derrière ces mêmes chaises, tout autour d'une allée enduite d'huile, sans évidemment y mettre les pieds. Et s'il quitte durant la présentation, il devra le faire de façon discrète. Je prends donc place prudemment sur une chaise et découvre au bout de cette allée, le corps replié, face à terre, d'une femme nue (Areli Moran, impressionnate). Une fois, la foule nombreuse correctement installée et le silence obtenu, nous découvrons que cette femme peut bouger, d'abord de façon subtile dans le silence le plus complet. Et tout à coup, la musique d'un orgue se fait entendre, colorant le moment d'une chape de rituel. Et presque toujours face contre terre, cette femme avance. Sa démarche semble difficile, douloureuse, jusqu'à devenir insoutenable, pour elle et pour nous, au point de se faire violence. Une fois son "chemin de croix" complété, elle se redresse, nous permettant de reprendre notre souffle. Et tout prudemment, le premier cycle terminé, elle revient à l'endroit initial où, nous l'avons découvert. Le premier cycle complété, c'est un tiers de la salle qui quitte. Cette oeuvre a beau être annoncée comme la répétition d'un même tableau, il en reste que la seule façon de le savoir est de rester et c'est ce que je fais. Parce qu'un corps qui souffre, qui s'offre et surtout qui offre sa souffrance mérite qu'on la suive jusqu'au bout et surtout dans les nuances qu'il nous montrera. Et des nuances, il y en aura, que ce soit de ces mouvements de violence encore plus importants ou des sons qu'elle émet durant. Il y aura aussi une sédimentation de nos couches d'inconfort que seule la répétition peut amener. Et de cette compréhension de la douleur amenée par cette violence faite aux femmes, je recite Aristote, "rien n'est dans l'intellect qui n'ait été d'abord dans la sensation".
Photo d'Adrian Morillo tiré du site de l'Usine C
Une fois la deuxième fois complétée avec ces nuances, un tiers des spectateurs restant quitte à son tour, laissant l'espace encore intime pour cette troisième fois qui pour moi, a résonné plus fort, parce qu'une fois la surprise de la découverte passée, il m'a été possible d'entrer en communion (terme, je le concède est un peu exagéré, mais le plus proche de ce que j'ai ressenti durant ces derniers moments) avec cette femme sans défense, contre elle-même surtout.
Une fois terminé, discrètement, elle quitte la salle, suivie par la chorégraphe et sans jamais revoir, ni l'une, ni l'autre, les applaudissements, cataplasmes imparfaits pour les spectateurs écorchés eux aussi, se font entendre. Je suis d'opinion que cette oeuvre se doit d'être vue en entier pour que résonne en nous ce message.
Avec "Serpentine", Daina Ashbee peaufine, tout en simplicité et en efficacité, son exploration de l'univers féminin exposé à une violence qui devrait nous interpeller. Et elle mérite toute notre attention.
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