Cette invitation d'Alida Esmail, je l'ai d'abord reçue de vive voix et elle s'est concrétisée par la suite plus formellement. J'étais convié à découvrir une étape de création d'une oeuvre chorégraphique "particulière" qui sera présentée dans un lieu de diffusion de Montréal, l'an prochain , soit le MAI (Montréal, arts interculturels). Ainsi donc, je bloque mon agenda pour "Ces racines en soi" de Sophia Wright, Alida Esmail et Hodan Youssouf et qui sera interprétée par ces deux dernières. Ce qui rend cette oeuvre "particulière" est qu'elle est conçue pour s'adresser aussi à des spectateurs mal ou non entendants.
Pause
Je veux, au passage, rendre hommage aux gens du MAI qui ouvrent leurs portes à des publics non-habituels. Je me souviens que c'est là que j'avais découvert avec plaisir une première fois, la proposition de Audrey-Anne Bouchard, "les yeux fermés" de "Camille : un rendez-vous au delà du visuel." pour laquelle nous découvrions la proposition avec les yeux bandés.
Fin de la pause
Voilà donc pourquoi, en cette soirée "plein déluge" de fin février, mes pas m'amènent jusqu'à la porte de la Maison de la culture Maisonneuve. À l'accueil, je suis invité à monter en haut au studio (lieu, pour moi, de belles rencontres empreintes d'intimité) et prendre place sur un des sièges. En chemin, je suis invité à prendre des bouchons d'oreille, ce que je refuse. Plus tard, je m'en mordrai les doigts de ce refus et pour savoir pourquoi, il faut poursuivre la lecture de ce texte jusqu'à la fin.
Pendant que mère nature tempête et tambourine au dessus de nos têtes, arrivent fort discrètement ces deux femmes qui se déplacent "aléatoirement", sans interactions apparentes entre les deux et moi je les suit, captivé ! Tout cela pendant j'entends et je ressens de fortes vibrations. Et puis, le tout semble débuter plus officiellement. Dans ce qui suivra, il y aura les moments durant lesquels autour d'elle tourne l'autre, enrobés de mouvements amples. De ces pas aussi qui se font devant moi et qui, je l'aurais souhaité, auraient pu percuter en nous encore plus fort par de fortes vibrations. Des pas que je surveillent et espérant secrètement qu'ils se rencontrent. Il y aura aussi les mouvements aériens de l'autre suivis de moments de tension. Et aussi ce tableau durant lequel l'une d'elle (un de mes moments préférés), applique son doigt sur des parties de son corps produisant des effets sonores et vibratoires pour amplifier leurs effets sur moi.
Tout au long, de leurs passages, seule ou ensemble, il semble que le parcours de ces deux femmes en est un parallèle et qu'il a comme objectif, chacune de leur côté, de venir à notre rencontre. Sensation que je ressens fortement lorsque l'une d'elle me regarde droit dans les yeux ou que l'autre nous sourit. Et puis ensemble, elles disparaissent dans la noirceur du lieu.
Une fois les applaudissements faits, se présentent à nous les artistes et aussi l'instigateur de cette proposition pour un échange avec le public présent. Échange fort riche et très utile pour les artisans et les spectateurs aussi. C'est durant cet échange que j'apprendrai que pour ressentir cette oeuvre différemment ou correctement, comme le public sourd ou malentendant (présent autour de moi), il aurait fallu que j'ais utilisé les bouchons d'oreilles pour mieux ressentir ma perception vibratoire !!!! À la question, qu'est ce qui émerge en vous tout au long, plusieurs réponses émergent du public, dont "énergie", "solitude", s'enraciner" et pour moi "affirmation". J'apprendrai aussi qu'une des deux interprètes (Hodan Youssouf) est non-entendante et que son expérience de vie colore beaucoup la proposition.
Il y a dans ce que j'ai vu en cette soirée de fin février, tous les éléments pour produire une oeuvre riche en symboles. Avec les commentaires reçus du public, bien appréciés et notés, (dont celui d'élaborer un propos narratif plus clair), l'oeuvre finale devrait réserver de bons moments et pour moi promis, ça sera avec des bouchons dans mes oreilles !